Le blog de Marina Carrère d’Encausse

 

HOMMAGE À UNE FEMME D’EXCEPTION

Préambule : l’avantage qu’il y a à lire vite (je le dis en toute modestie puisque je n’y suis pour rien, on m’a appris, ainsi, à lire) est qu’évidemment on lit beaucoup. Et c’est comme cela que l’on peut, au milieu de publications plus ou moins intéressantes, tomber sur un livre dont la sonorité vous touche. Un livre dont les mots forment une musique qui continue à résonner, une fois les pages refermées.

marinablog« Bonjour, Anne » écrit par Pierrette Fleutiaux qui vient de paraître aux éditions Actes Sud est de ces livres-là.

Il est d’un genre difficile à définir : pour son éditeur, ce n’est ni une biographie, ni une autobiographie, mais une entreprise d’écriture en forme d’exercice de connaissance de soi par l’Autre ; pour son auteur, ce n’est pas une commémoration mais une intimité intérieure avec une présence.

De quoi s’agit-il ? De ce qu’une femme a apporté à une autre par sa seule existence.
Celle qui reçoit c’est l’auteur, Pierrette Fleutiaux, écrivain féministe, prix Fémina 1990 pour son roman Nous sommes éternels (1990). Dans le livre elle est Elle, aujourd’hui, et Marguerite, elle dans les années 1980, si éloignée dans le temps qu’elle s’est donnée un autre prénom.

Celle qui donne c’est Anne Philipe, la veuve du grand Gérard Philipe, une femme que l’on connaît mal, qui était pourtant d’une richesse rare. Philosophe, ethnologue, écrivain, reporter, éditrice, Anne Philipe a été mariée en premières noces à un sinologue, François Fourcade avec qui elle vécut à Nankin. Elle fut la première française à traverser le désert du Sin-Kiang en 1948 après avoir parcouru l’ancienne route de la soie. Un récit témoigne de ce voyage étonnant.

Puis, divorcée, elle épouse l’acteur en 1951 dont elle aura deux enfants. Et c’est en tant qu’éditrice qu’elle va rencontrer Pierrette Fleutiaux en 1974.
Ce sont les 16 ans qui séparent cette rencontre de la mort d’Anne Philipe en 1990 qui sont relatées dans ce livre. 16 ans « d’amitié respectueuse », de découverte.

Mais point de chronologie, point d’histoire construite. Il s’agit de bribes, de souvenirs, d’évocations, de moments de lumière. On circule des archives de la bibliothèque nationale aux maisons d’édition, de l’appartement d’Anne Philipe au TNP, de Paris à New-York. On rencontre… Claude Roy, Claude Gallimard, Jean Vilar, Ariane Mnouchkine, Montand, Jean Rouch…

Et il se dégage de cette lecture magnifique deux éléments :
Anne Philipe était une femme admirable, on est riche de la découvrir.

Pierrette Fleutiaux avait une dette envers elle, une dette fondamentale envers cette femme qui lui a permis de devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Ça s’appelle du compagnonnage amical, intellectuel, humain.
D’où sa gratitude et l’envie de transmettre à son tour ce qu’Anne Philipe a été « un jalon capital dans mon histoire personnelle, un trait à marquer dans l’histoire des femmes, une trace lumineuse que ne doit pas oublier la littérature ».

C’est peu de dire que j’ai aimé.