ACTE 1 (l’enfance).
Sc 1 – Fillette, Estelle, Phil, Dan (en coulisses).
Rideau ouvert. Noir. Quelques bruits (ouverture d’une porte, de quelques fenêtres) – On est dans le réel d’aujourd’hui. La fillette entre. Elle appelle Estelle : « Claire ! ». Réagissant à cet appel, l’orchestre (violons) amorce, « murmurando », un motif actif et relativement rapide et continu, dans le medium. Ce motif jouera un rôle conducteur tout au long de l’oeuvre. Emerge, au piano, une brève figure (2 notes ascendantes formant une tierce mineure) qui, elle aussi, telle une annonce et un rappel incessant du drame, jouera un rôle de signal tout au long de l’opéra. Tout en furetant à droite et à gauche, la fillette intervient encore plusieurs fois, toujours brièvement, à des moments bien précis par rapport au texte musical qui s’organise. Pendant ce temps, le motif (tierce mineure ascendante) du piano est repris, comme en écho par le premier cor tandis que quelques motifs très fugaces, épars, légers et un peu bruiteux (marimba, harpe, percussion, trompette en staccato, timbale etc...), semblent prolonger les sons réalistes qui avaient accompagné l’arrivée de la fillette, alors que le cor anglais et le premier trombone déploient un motif mélodique expressif descendant. Le motif de tierce mineure circule avec de plus en plus d’insistance, au piano puis à la harpe, tandis que des cuivres graves et doux préparent avec une certaine solennité, le premier appel « lointain »
(« appel d’outre tombe ») de Dan adulte : « Ils dérivent, nos êtres pâles (…) Ne nous oublie pas, Estelle, ne nous oublie pas ». On est déjà au coeur du souvenir dans ce qu’il a de plus poignant pour Estelle.
Sc. 2 - Fillette, Phil, Estelle, Dan (en coulisses), Helleur.
Annoncé par un double motif vif et descendant, ponctuant, aux 2 violons solos, un dernier appel de la fillette (« Claire ! »), Helleur surgit : Claire, pourquoi ce prénom ? C’est le premier dialogue entre lui (qui n’est plus) et Estelle, adulte, qui revisite la maison. On est donc
au « présent onirique » puisque chanté. L’orchestre se tait parfois, brièvement : « Quel poids de silence » (Helleur), mais le caractère de continuité est maintenu. Phil et la fillette sont les témoins indirects de ces échanges qui se jouent sur un autre plan que celui –réaliste- du début. Mais ils sont présents puisque Estelle s’adresse parfois à la Fillette : « N’aie pas peur, petite fille. C’est la maison de mon enfance ». Puisque, aussi, plus tard dans la même scène, ils auront un dialogue légèrement tuilé avec la fin morcelée d’une intervention de Helleur. On notera qu’Estelle, même au présent, ne parle jamais – elle chante. Elle est toujours à un certain niveau d’onirisme. Un onirisme intentionnel : elle veut retrouver les siens, son enfance, redonner vie à ses souvenirs. Tout ce qui concerne Estelle (passé, présent) est lié à la convention du chant. On notera aussi ce signal dramatique annonçant : « La glace m’étreint » (Helleur) - une sorte de frise horizontale longue et rapide, répétitive, continue, dérivée du motif initial des violons, mais, cette fois, dans l’aigu du registre, « frise » très caractéristique, glacée, insistante mais toujours jouée pianissimo, des 1ers violons. À la fin de cette scène 2 : premières interventions très discrètes du motif rythmique « Boléro » « (…) dans le garage bleu, à contempler la danse de leur mère Nicole » (Helleur). L’appel d’Helleur : Répondez, répondez, mes enfants qui intervient alors est à mettre en correspondance avec les appels « d’outre tombe » de Dan.
Sc. 3 – Estelle enfant, Dan enfant, Adrien enfant, Nicole, Mr Voisin, Helleur, Dr. Minor.
Scène animée – deux familles : tout le monde parle (chante…) à la fois. C’est la première scène avec les trois enfants. Elle est ludique, moqueuse et insouciante. Très mouvementée, évoquant une époque lointaine, celle de l’arrivée des Helleur dans cette maison, les échanges entre les sept personnages (ici, Estelle, Dan et Adrien, sont encore petits) y sont vifs, léger, concis, l’orchestre brille (glissandi de harpe, traits leggiero du piano, échanges rapides entre flûte, hautbois, clarinette et basson). De-ci, de-là, un ton de comptine : « Adrien est jaloux, Adrien est jaloux » (Dan) . Il y a de brefs duos en homophonie (Estelle et Dan) : «Nicole est notre mère» et un petit canon très serré accompagné de manière un peu grotesque par le piano (Helleur et Mr Voisin) : « Il faudra réparer cette brèche sous le lilas ». En fin de cette scène qui aura passé très vite, soudain changement de ton : Ces voix, ces voix dans ma tête (Estelle adulte). On réentend la voix lointaine de Dan (adulte) : «Ne nous oublie pas, Estelle, ne nous oublie pas».
Sc. 4 – Estelle, Helleur, Dr. Minor.
Première évocation du drame initial (encore à venir) : la mort des parents. Bref récit (annonce-présage) : Helleur : « La rivière était gelée … le petit pont était glissant ». Le dialogue Estelle – Helleur touche, sur deux plans différents, au fond du drame…Sur la répétition obstinée du motif de tierce mineure (trombone basse en alternance avec basson et contrebasson sur une note sans cesse répétée du tuba), le motif « frise » a changé de caractère. Morcelé, il est joué pianissimo par les violons avant de circuler, par bribes, dans les bois aigus. Introduit par un motif nouveau – une figure un peu lourde et abrupte de cinq ou six notes, souvent répétée, le Dr. Minor interroge Estelle : Pourquoi es-tu revenue ? Cette maison est maudite. (…) Il reproche son mensonge à Helleur. Il répète « mensonge » en russe. La transition qui survient alors, soudaine, est vive et brutale mais elle s’évanouit rapidement pour faire place à …
Sc. 5 – Fillette, Estelle, Helleur, Dr. Minor.
… un nouveau mouvement continu des altos sur lequel se détachent trois figures expressives descendantes et d’allure modérée du piano. Une variante du motif initial « murmurando » des violons se superpose ensuite au mouvement continu des altos. Le ton change. La fillette fait des découvertes dans le jardin. Estelle raconte son enfance avec Dan et Adrien. Helleur se souvient du bonheur de ces jours. L’orchestre se colore et fait entendre quelques éléments mélodiques. Soudain, on retrouve la transition « soudaine » et rapidement évanescente qui enchaînait cette scène à la précédente et on réentend – cette fois aux saxophone, basson et trombone basse, une version légèrement transformée mais vigoureuse du motif qui avait introduit la première intervention du Dr. Minor. Bref dialogue tendu entre Minor et Helleur (Minor) « pauvre fou !" et ponctuation violente de l’orchestre suivie d’un « presque silence » doucement vibrant sous une mélodie du Piccolo et du Cor anglais introduisant un nouvel appel « lointain » du Dan d’outre tombe. La scène s’achève sur quelques vestiges du motif de Minor.
Sc. 6 – Nicole, Estelle, Tirésia, Helleur.
Le mouvement est maintenant plus rapide, agité. Il se construit sur des figures répétées du Tuba alternant avec le piano sur des ponctuations « pizzicato » des contrebasses. Helleur est tourmenté. Il s’inquiète de ses dossiers secrets et évoque les terrifiants cauchemars de Nicole puis, dans une sorte d’extrême émotion, il fait allusion à « ce » qu’elle ne pouvait oublier. Le temps semble s’arrêter. Nicole apparaît, fantômatique, sur un mouvement musical « dolce quasi lontano ». On est comme dans un autre monde. Suspendu… J’ai peur, Tiresia, j’ai peur (Nicole). Mais l’agitation reprend peu à peu. C’est un nouveau cauchemar, bref, violent, ponctué par les cordes fortissimo et un accord des trompettes et trombones. Ensuite, sur un roulement de grosse caisse, pianissimo, commence à retentir ce qui sera le thème de Tirésia : une lente mélodie sur l’enchaînement lentement obstiné de trois accords lointains et cuivrés. Tirésia chante un poème de Celan : « Lait noir de l’aube… ». La mélodie d’accords cuivrés se transforme sur quelques allusions rythmiques au Boléro de Ravel tandis qu’Helleur évoque le travail obstiné de Nicole qui se voulait danseuse. Estelle raconte, elle aussi. Helleur se souvient de la fuite de Nicole à New York pour travailler avec ce chorégraphe, Alwin … On entend toujours une petite caisse évoquant le rythme du Boléro de Ravel. Montée de tension et éclat soudain des cuivres : Dan, mon cher enfant, où es-tu ? (Helleur). La scène s’achève dans une sorte d’éloignement, celui du souvenir.
Sc. 7 – Estelle enfant, Dan enfant, Nicole, Helleur « Lune sur la pelouse. »
Immobilité, douceur nocturne. Quelques appels lointains. Jeu mystérieux des enfants émerveillés par la Lune. Présence, au piano, du motif de tierce mineure ascendante. Dan semble être en intense communication avec la terre : La terre nous désire, elle nous veut. La musique s’anime doucement en accompagnant l’enfant qui, inquiet et comme traversé par un sombre pressentiment, va se mettre à danser, d’abord lentement puis dans une sorte d’ivresse libératrice : Mes pieds frappent la terre, ils l’appellent, ils la provoquent. Helleur et Nicole, témoins de cette scène, sont, eux aussi, dans l’émotion. Helleur se souvient de la danse de Nicole (présence discrète de citations très transformées du Boléro de Ravel) tandis que Nicole rêve du départ de Dan pour New York : Il lui faut un maitre, j’écrirai à Alwin. A l’orchestre, le motif de tierce mineure ascendante est de plus en plus présent et sonore aux bassons, cors, altos, violoncelles et contrebasses tandis que des éléments dérivés de la « frise » s’animent et dramatisent la situation. Un pianissimo soudain – j’écrirai à Alwin - débouche sur une sorte de nouvelle immobilité de l’orchestre, sombre, cette fois – Helleur : Alwin détruira Dan.
Sc. 8 – Nicole, Estelle, Dan, Helleur.
Cette dernière scène de l’acte 1 pose un problème très particulier : Estelle et Dan y sont-ils encore enfants ou déjà adultes ? En fait, ils sont adolescents. Les parties vocales ont été écrites pour pouvoir être chantées soit par des voix d’enfants soit par des voix d’adultes juvéniles.. C’est la scène cruciale de la découverte de l’amour perçu par Dan comme interdit. Un motif expressif doux et ascendant (caressant), sans aucune relation avec rien de ce qui a été entendu dans les scènes précédentes introduit l’échange des aveux : (Dan) Je fais chanter ton corps, Estelle (Estelle) Tes lèvres sur mes lèvres. Bref moment d’extase puis soudain déchaînement de fureur sonore et appel désespéré du motif de tierce mineure ascendante répercuté dans tout l’orchestre. (Dan) Tu es ma soeur ! Fuite de Dan, stupeur d’Estelle. Dans une douceur fragile et froide (motif « frise » pianissimo aux violons et motif tierce mineure doucement chanté à l’harmonium et à la flûte piccolo), Estelle prend conscience que son frère la quitte. (Helleur) Estelle, (…) j’ai peur pour Dan. On réentend le motif qui avait introduit l’échange des aveux. La scène s’achève sur un point d’interrogation prolongé par un long accord semi consonant de deux trombones et une trompette en sourdine.
Interlude – Fillette, Phil (comme au début de l’acte 1 : quelques bruits de la maison...).
L’interlude est précédé de trois brèves répliques des deux personnages parlants : (Phil) Il fait froid. Allons chercher du bois. Dès les premières notes (après quelques ponctuations discrètes du piano, dans le grave), le ton de la musique est neuf, il est marqué par une allure légèrement syncopée (« jazzy ») un peu tâtonnante. Une brève première séquence de ce type est suivie par une sorte de sombre bourdonnement des cordes graves. Ensuite, la musique se développe à partir de l’alternance de ces deux éléments jusqu’à l’irruption soudaine, dans un mouvement beaucoup plus vif et éclatant amorcé par le piano sur une variation du motif « tierce mineure ascendante » d’une séquence très sonore et animée. On est à New York. Rapidement, cette musique bruyante paraît s’effacer…
ACTE 2 (New York, la danse, mort des parents)
Sc. 1 – Estelle, Mari d’Estelle, Dan, deux types « Au bord de l’Hudson.»
Atmosphère insolite : sous de longues tenues pianissimo (violons et flûte), quelques pizzicati de la contrebasse solo introduisent un petit un petit motif répété deux fois au saxophone ténor. On entend aussi un wood bloc. Quelques notes aigues et rapides du piano répondent au saxophone. On est à nouveau dans un climat « jazzy » tâtonnant. Suspens. Les deux types observent Dan et s’interrogent à son propos. On entend parfois, forte subito, l’un ou l’autre très bref souvenir de la partie animée de l’interlude. Peu à peu, le piano se mêle au tissu sonore et il prend même de plus en plus d’importance. Passe un thème de choral, calme et doux, en contraste total avec la sortie mouvementée du mari d’Estelle d’un club homo. Le mari d’Estelle s’engueule avec Dan, il veut qu’Estelle retourne en Europe. Sous le choral, le piano s’est animé. Soudain, après une transformation du motif du saxophone, un nouveau motif violent, en éventail, surgit aux cordes. On réentend un peu du choral, cette fois aux trombones. Après (Dan) Tu ne comprends rien, l’orchestre s’emballe, on retrouve brièvement l’éclat «New York» tandis que les deux hommes s’empoignent violemment. Intervention d’un des deux types puis des deux, ensemble, à deux voix, violentes interventions du piano et des cordes graves. Après un bref silence et la reprise de l’orchestre aux cordes pianissimo, Estelle dit adieu à son mari. On retrouve les motifs tâtonnants du début de la scène puis les réactions violentes du piano, des cordes graves doublées par le saxophone ténor puis, après un nouveau silence très bref et un souvenir du choral, on glisse dans le …
Petit interlude assez heurté, devenant bruyant. Eléments « New York » et « combat »
Sc. 2 – Dan, Alwyn « dans le studio d’Alwyn. »
Alwyn (qui chante en anglais) fait travailler Dan (qui lui répond en français). La scène, tendue, car Dan ne se plie pas aux injonctions techniques du chorégraphe, comporte trois volets : A* : le rude travail à la barre sur une texture musicale discrète, rythmique, directement issue du « jazzy tâtonnant » - une sorte de swing très stylisé - de la scène précédente. Piano, timbales, bassons et trombones, associés dans une ponctuation continue et indépendante des parties vocales, constituent une sorte de sous bassement sur lequel deux saxophones (la couleur américaine) assurent la partie mélodique « tâtonnante » à deux voix. B* : dans un tempo plus rapide, alerte, léger, brillant, et sur un ton presque joyeux, la phrase révoltée de Dan : je ne suis pas un pantin. C* : plusieurs fois interrompue par quelques traits rapides et très sonores des cordes ou des bois avec le marimba, la suite de A où Alwyn affiche progressivement sa désapprobation quant à la présence d’Estelle à New York. En fin de scène, Alwyn, persifleur, chante en français, et répète, à la manière d’une comptine Un provincial, des provinciaux (…)
Sc. 3 – Alwyn.
Seul, à présent, Alwyn médite sur les dons de Dan pour la danse (orchestre discret, tendu, vibrant). Il évoque Nicole, pathétique et si peu douée, elle, obsédée par l’idée de danser sur pointes (l’orchestre – marimba, altos et violoncelles - danse un moment sur pointes…). Il l’a renvoyée d’où elle venait. Et voilà qu’elle lui confie Dan en qui il voit un potentiel premier danseur. Mais il faut le débarrasser de la présence de sa soeur. Le ton s’est durci, les ponctuations deviennent des traits descendants (des chutes …) violents, on retrouve, aux bois, l’un ou l’autre motif de la partie la plus tendue de la scène 1 tandis qu’en alternance, les saxophones ont repris leurs interventions mélodiques à deux voix …
Sc. 4 – Estelle, Dan « Les fenêtres embuées de neige. »
Introduction (transition) par l’orchestre : douceur, quelques relents mélodiques de la scène précédente. À l’arrivée tonitruante de Dan, tout change : on est dans un mouvement animé, joyeux, conduit par le piano en polyphonie avec des éléments mélodiques joués aux cordes et aux bois. Dan semble exploser : Il neige. Mais Estelle est inquiète. On entend à nouveau, par bribes, le motif « frise » (tension soudaine). Une lettre d’Adrien est arrivée. Il y est question de gel. Réaction bruyante et dramatique (prémonitoire ?) du piano. Son père veut faire interdire le petit pont… Sinistres ricanements de l’orchestre. Dan ne semble pas comprendre. Estelle parle de la tristesse chez les Helleur. Notre père est triste. On réentend plusieurs fois le motif « frise ». L’orchestre ponctue les phrases chantées un peu à la manière d’un récitatif (le style tient tant du récitatif que de l’arioso). On apprend qu’à son retour, le mari d’Estelle a tout raconté. Il est furieux. La lettre d’Adrien donne aussi des nouvelles de Minor et de Tirésia. On retrouve chaque fois des éléments musicaux attachés à ces personnages. Mais Dan veut retrouver sa joie du début de la scène tandis qu’Estelle reste plongée dans ses souvenirs d’enfance : Tu te souviens ? Minor. Tu te souviens ? Commence alors une petite séquence musicale « russe », très en douceur où alternent cordes graves (comme un choeur orthodoxe…) et harmonium (souvenir du « choral » esquissé dans la scène 1 de l’acte en cours). La musique, ductile, accompagne, commente et ponctue cette séquence de récit centrée sur le Dr. Minor dont le ton évolue sans cesse – tantôt grave, tantôt animé voire un brin humoristique (humour enfantin). Vers la fin de la scène, à deux voix, chantant comme des enfants, Dan et Estelle, inquiets, questionnent : Tu vas guérir notre mère Nicole ? L’orchestre rappelle discrètement le mouvement d’accords très doux qui avait accompagné l’arrivée de Nicole, à l’acte 1, au début de son cauchemar, tandis que l’alto solo imite assez librement la petite caisse du Boléro de Ravel et son rythme bien particulier.
Sc. 5 – Estelle, Tirésia, Dan, Alwyn.
La scène s’ouvre sur un grand trait montant et très sonore du piano avec la harpe, le marimba et de la percussion – une sorte d’exclamation musicale. Mais on se retrouve très vite dans le climat qui clôturait la scène précédente : rythme du Boléro à l’alto solo, variations de la mélodie du même Boléro, et Estelle : Tu te souviens ? C’est un moment d’explication non exempt de reproches : (Estelle) Nous étions si proches (Dan) Et puis tu t’es mariée, Estelle. Evocation du mystère qui pesait sur la famille et sur la maison. La tension croît, sourde, chargée de pressentiments et de mélancolie. Soudain, bref flash sur New York, puis, immédiatement, la musique calme, un peu swing, du studio d’Alwyn. Alwyn passe : Lazy kids ! On entend le thème de Tirésia enrobé de multiples mais discrets éclats lumineux. Chant de Tirésia. Disparition progressive de son thème et surgissement mystérieux du motif « frise », pianissimo dans l’extrême aigu sur des scansions obstinées et lointaines d’une trompette. Intervention du motif « tierce mineure » au piano. Tirésia continue à chanter son poème dramatique et prémonitoire alors que « sa » musique a disparu. Lorsqu’elle se tait, l’orchestre se tait.
Sc. 6 – Alwyn, Estelle, Helleur, Dan (en coulisses), Choeur des garçons (constitué des chanteurs incarnant Helleur, le mari d’Estelle, Dan, Mr Voisin, Alwyn, les deux types et Adrien ).
« Obscurité, brouhaha de voix masculines jeunes ».
Après un bref silence, l’orchestre se fait machine à bruits (plaques métalliques) tandis qu’Alwyn « coache » énergiquement ses danseurs. Ils allument des bougies. Polyphonie étrange et très douce (saxophones, violons et altos) : les danseurs descendent un escalier sur la pointe des pieds. Quelques notes de harpe, des pizzicati de violoncelles et de contrebasses et des sons de quelques bois achèvent ce mini intermède musico-chorégraphique. Estelle est songeuse, l’orchestre semble l’écouter. Elle repense à son mari, Poison Ivy. Un pressentiment l’agite. Quelques trémolos des cordes pianissimo réorientent la partie musicale. Tenues de cuivres graves, motif « tierce mineure » au piano puis à la harpe, annonçant la voix du Dan d’outre tombe Ils dérivent nos êtres pâles … Après Ne nous oublie pas, Estelle, ne nous oublie pas, double ponctuation violente du piano, immédiatement suivie par quelques mesures d’orchestre seul de caractère onirique (on passe dans un autre temps). Ensuite, l’orchestre n’est quasi plus que rythmes tandis qu’Helleur s’adresse à Estelle Ma grande fille, vous étiez des enfants magiques et tente de s’expliquer. Mais voici qu’il se met à neiger. Helleur a disparu. On est toujours à New York. Après une transition musicale un peu descriptive (les premiers flocons) mais qui va s’agitant (New York est bruyante) éclate le « choeur des danseurs » sur des mesures asymétriques. C’est un choeur polyphonique en homorythmie qui, après un début très sonore, va peu à peu s’éloigner pour s’achever en coulisses. À la disparition des danseurs, un violon solo, un alto solo et le marimba font encore entendre quelques mesures de sons pianissimo très rapides. La scène s’achève sur une mesure de silence.
Sc. 7 – Estelle, Dan, Adrien.
Duo de la contrebasse solo en pizzicato (« jazz ») avec le sax ténor (éléments de la scène 1) avec quelques broderies rapides du piano et un bref contrechant à la flûte grave. Brève reprise par l’harmonium puis des cordes rappellent le choral rejoué, abrégé, par les flûtes et le piccolo. Estelle et Dan sont seuls en scène. Reprise du duo contrebasse - saxophone tandis que, pianissimo, la petite caisse rappelle le Boléro de Ravel. On est dans une sorte d’attente. Soudain éclate violemment le motif « tierce mineure ascendante ». Adrien surgit. Stupeur. Orchestre à nouveau pianissimo. Au cor en sourdine : motif « tierce mineure », réponse du trombone en écho. Lourdes basses au piano. Altos, violoncelles et contrebasses en trémolo, discrètes allusions au motif du Dr. Minor aux violons, puis élargissement à 2 voix du motif « tierce mineure » (hautbois et basson). Adrien veut parler à Estelle. À l’orchestre, les éléments se multiplient. Motif « tierce » clamé au piano et, en écho, très doux, aux cors, thème de Tirésia. Adrien commence à livrer son message. Bref moment d’intensité dramatique. Estelle ne veut pas savoir. Thème de Tirésia aux saxophones, suite de l’annonce du drame par Adrien : Vos parents sont morts. L’orchestre est en tension extrême puis se tait. Adrien répète « sotto voce », puis, très agité, il reprend son récit. Estelle se révolte (chahut de l’orchestre). Brièvement : un des motifs de la scène de combat. Puis Adrien, sur un orchestre presque silencieux : C’est ton idiot de mari. Mélancolie, douceur : allusion au choral. Dan entoure Estelle de ses bras mais (nouvelle interjection de l’orchestre sur le motif « combat ») Estelle ne veut toujours pas savoir. Sur un rythme de marche fatale (pizzicati des contrebasses) et des variations entre la clarinette basse et le basson sur le motif « combat », Adrien raconte l’accident. Bref silence, quelques ponctuations pizzicato des contrebasses, (Dan) Le petit pont sur la rivière, le verglas…, c’est ma faute, je les ai tués. Bref silence puis deux longs accords pianissimo des cuivres. Silence. Sombre trémolo pianissimo des cordes graves. Au loin, deux fois, le motif « tierce ascendante » (d’abord au saxophone alto puis, pianissimo, aux timbales).
Sc. 8 – Estelle, Dan, Adrien « La grotte. »
Estelle et Dan semblent fuir la terrible réalité qui vient de leur être narrée. Sur une trame orchestrale très douce et berçante dans laquelle apparaît deux fois le motif « tierce » au piano, ils se souviennent de la grotte secrète de leur enfance. Cette évocation les rapproche intensément. La trame sonore se densifie tout en restant dans la douceur. (Dan) Nous ne pouvons mourir, nous ne pouvons mourir. Intervention brutale et abrupte de l’orchestre sur le motif « combat » : (Adrien, violent) Toujours aussi fous ces deux là. L’orchestre hurle New York , un New York qui semble se disloquer. Bref silence. Motif « tierce » dans le grave lointain du saxophone ténor. Quatre mesures rappelant le motif « doux, expressif et ascendant » de la scène 8 de l’acte 1 (les aveux). La, musique s’éteint peu à peu dans une douceur interrogative.
ENTRACTE
ACTE 3 (Mort de Dan. Le dénouement).
Introduction (orchestre seul)
Petits motifs d’attente, rappel du motif « doux, expressif et ascendant » (les aveux). On est dans l’interrogation : que va-t-il se passer ?
Sc. 1 – Fillette, Estelle, Phil « La fillette fouille dans le landeau. »
On est à nouveau dans la maison. Sur un motif régulier et obstiné du marimba légèrement perturbé par des pizzicati des altos, des violoncelles et des contrebasses, conversation à trois. Sur une entrée plus mélodique de deux flûtes, Estelle décide que, puisqu’elle est maintenant « son enfant », la fillette a le droit de savoir.
Sc. 2 – Fillette, Phil, Adrien enfant, Nicole, Tirésia (muette), Mr Voisin, Helleur, Estelle enfant, Dan enfant (muets tous les deux).
Cette scène pourrait, par certains aspects, être vue en parallèle avec la scène 3 de l’acte 1. Elle nous renvoie dans le passé lointain de la famille Helleur. Elle réunit de nombreux personnages. Musicalement, elle a un peu le caractère d’une valse à intermèdes. On est dans la futilité des réceptions en province. L’orchestre brille de mille feux. Après quelques répliques, le climat change. C’est l’apparition muette de Tirésia soulignée à l’orchestre par l’énoncé de son thème, puis la description un peu ironique, par Nicole, de l’allure des « voisins ». Échange de politesses entre Helleur et Mr Voisin (la musique tente de souligner discrètement ce qui se dit -se chante). Peu à peu, la valse reprend éventuellement un rien asymétrique, notamment au début de l’intervention d’Adrien enfant qui tente de s’allier avec Estelle : J’ai envie de jouer au foot. En fin de scène, on entend une nouvelle fois, très doux, le thème de Tirésia puis on retrouve Phil et la Fillette surpris de découvrir qu’Estelle (adulte) s’est endormie.
Sc. 3 – Estelle, Dan, Adrien.
La scène s’ouvre sur une transformation harmonique du motif « tierce ». On est beaucoup plus tard, après le retour d’Amérique. Introduction symphonique assez longue, douce, entre solennité, calme et mystère. Omniprésence d’un motif déjà entendu à l’extrême fin de la scène précédente. Présence également du motif « tierce ». Une figure légère en notes répétées rapides circule dans l’orchestre. Le piano égrène quelques notes descendantes à partir de l’extrême aigu. Échanges éperdus de Dan et Estelle. Reconnaissance mutuelle de leur amour. On entend, pianissimo, au saxophone ténor, le thème de Dan outre tombe. On retrouve ensuite les premières mesures de la scène 7 de l’acte 1 (Lune sur la pelouse). Encore quelques accords évoquant le motif « tierce » et mouvement mélodique sinueux et descendant repris d’un instrument à l’autre en canon. Sur une texture plus mouvante de l’orchestre, le dialogue reprend entre Dan et Estelle. Serment d’amour. Mais revoici, au marimba, puis aux violoncelles et contrebasses, le motif « combat ». C’est Adrien. Il apporte du caviar. Mais il est bien seul à côté des amoureux éperdus. Il s’énerve. Les autres se moquent de lui. Il devient agressif. Mais, chose étrange, en quelques secondes, l’orchestre émerge et rugit le motif « tierce mineure ». (Estelle à Dan) Tu es si pâle. En quelques répliques, Dan perd la vie. Nouveau rugissement de l’orchestre (motif « tierce mineure »). (Estelle) Rendez-moi mon frère ! Stupeur à l’orchestre soudain presque silencieux. Nouveau cri orchestral. (Estelle) Rendez-moi son visage. Encore quelques mesures d’orchestre …
Sc. 4 – Estelle, Adrien.
Sur un mouvement presque continu de doubles croches staccato aux violons, au sax alto et à la clarinette puis aux violoncelles et au marimba, avec quelques brèves ponctuations de percussion (blocs chinois), Adrien s’adresse à Estelle. Du temps a passé. Adrien tente de séduire son amie d’enfance. Marié, riche, vantard, il reproche à Estelle de s’être trouvé un nouveau compagnon. Estelle répond à peine. Puis, violemment : J’étais désespérée (motif rapide et violent à la flûte sur un rappel du motif « tierce »). Le mouvement continu reprend aux violoncelles tandis qu’Adrien est de plus en plus agressif. (Estelle) Nous étions perdus. Commence, alors, par Adrien, sur un mouvement musical à la fois étrange et expressif, désolé, sorte de longue plainte, le récit de l’exhumation nocturne du corps de Dan, demandée par Estelle, et de son transfert dans la grotte secrète. La douleur est à son comble mais sans aucun pathos. La musique demeure simple et discrète. (Estelle) C’était un serment à mon frère. Encore quelques répliques dans un climat où la matière musicale se raréfie de plus en plus. Violente intervention du motif combat. (Estelle) Tu es vivant… Mon frère est mort. Aux violoncelles, variation sur le thème de l’aveu. Au piano : rappel violent mais nu du motif « tierce ». Quelques bribes ralenties du motif « combat ». (Adrien) Adieu.
Sc. 5 – Tirésia, en « choristes » : Mr Voisin et les deux types.
Moment de méditation dramatique. L’orchestre semble immobile, parcouru par seulement quelques éléments mélodiques issus du motif « tierce » et laissant apparaître de petites figures discontinues de percussion. Un trio vocal masculin (les danseurs) entonne une sorte d’ode funèbre en anglais sur lequel Tirésia chante (en français) un poème de désespoir.
Sc . 6 – Fillette, Estelle, Phil
On retrouve le climat musical de la première scène de l’opéra (notamment le motif « tierce mineure ascendante » joué, comme u appel, plusieurs fois par le piano) (Estelle) La vieille maison m’appelle. Je dois lui répondre.
Interlude
La fonction de cet interlude entamé, vigoureusement, par une sorte de proclamation par les trompettes du motif « tierce » puis se développant de manière continue, dense et intraitable jusqu’à une sorte de climax, est den préparer la grande et complexe scène suivante. Juste après le climax : plus que quelques sons tenus, peu sonores, et l’une ou l’autre intervention de timbale.
Sc. 7 – Nicole, Estelle, Tirésia, Dan (en coulisse), Helleur, Adrien, Dr. Minor.
C’est la scène d’élucidation. Elle est longue et comporte plusieurs volets. Tous les protagonistes sont réunis à l’exception de Dan. Le Dr. Minor signale que Tirésia est très affaiblie (musique hiératique : quelques accords soutenus joués par des instruments des différents groupes). La harpe fait entendre le motif « tierce mineure » et met les premiers violons en en vibration (pianissimo) tandis qu’Estelle, s’adresse à son Père : Il y avait tant de secrets dans notre maison. Helleur entame, alors, sur le thème musical de Tirésia, le terrible récit des années de guerre. L’orchestre reste discret, comme en attente. Nouvelle intervention du thême Tirésia alors que Tirésia, elle-même, révèle à Estelle la vraie nature de leurs liens : elles sont mère et fille. Helleur demande pardon pour le mensonge. C’est, alors, Nicole qui, accompagnée par une figure régulière (comme en pendule) des violoncelles ponctués par quelques notes de saxo ténor et une mélodie très simple de la clarinette, raconte sa part de l’histoire. L’Harmonium prend le relais (thème de Tirésia) et Tirésia reprend la parole. On est dans un moment de grande émotion. Sur un tapis de sons soutenus et très doux des cordes, la harpe égrène quelques figures régulières et arpégées. Tirésia et Estelle évoquent des souvenirs, Minor participe à cette évocation. Le thème Tirésia se transforme. On l’entend d’abord aux trombones en sourdine. (Tiresia) J’ai connu l’enfer. Nicole poursuite le récit. Estelle se rapproche de plus en plus de Tirésia. Dr. Minor (accompagné par des souvenirs des figures rythmiques qui l’accompagnaient au premier acte) rappelle qu’il voulait que les enfants sachent… Cuivres graves, violoncelles, contrebasses : (Helleur) Elles sont revenues. Après Tirésia mourante, défigurée, l’orchestre s’agite un peu (piano actif, pizzicati, longues notes chantées au 3e cor en sourdine) : Nicole, sans foyer, égarée. Ensuite, c’est la révélation du pacte par Helleur. Crescendo à la percussion (tumba) et double proclamation du motif « tierce » (au piano puis aux bois aigus sur une mesure rythmique de notes répétées aux violoncelles et contrebasses. Nicole explique alors que les violons rappellent assez longuement (« piano ») le motif « frise ». Le marimba fait son entrée pour accompagner Adrien qui, lui aussi, raconte. Petite allusion au Boléro de Ravel : (Adrien, à propos de Nicole) Elle dansait, dansait, dans son garage bleu. Helleur poursuit et, évoquant la fuite de Nicole pour New York, révèle discrètement que Dan était le fils d’Alwyn. (motif du combat). On entend alors, plusieurs fois répété, le motif « caressant » des aveux annonçant (Tirésia) Dan était notre soleil. Plus loin : Vous étiez l’aube de notre nuit. Quelques échanges, encore, émus, entre Estelle et Helleur, commentés par le Dr. Minor. Ensuite, alors que l’orchestre s’efface de plus en plus : (Estelle à Tirésia) Laisse-moi toucher ton corps. Aux trombones, lointains : thème Tirésia transformé et mort de Tirésia. Surgit, alors, une autre musique, très différente, introduite par l’harmonium. On entend quelques accents insolites, sax ténor et bassons s’agitent, suivis de la harpe, du marimba et des cordes puis du piano… Retour au calme et, accompagnée au piano par ce qui apparaîtra peu à peu comme une étrange valse lente sur la quelle viendra se greffer une mélodie du saxophone alto, long chant d’Estelle : le destin s’est joué de nous. Ensuite, après un moment d’effritement de cette « valse », en coulisses « très lointain », le Dan d’outre tombe : ne nous oublie pas, Estelle. Le motif « frise » revient doucement aux premiers violons ; (Estelle) Ils dérivent, nos êtres pâles. La scène s’achève sur quelques murmures de l’orchestre effaçant ce qui restait du motif « frise. »
Sc. 8 – Estelle enfant, Dan enfant, Fillette et Phil (muets)... « La grotte secrète. »
À l’harmonium : lent choral pianissimo dérivé du thème Tirésia. Longs accords des instruments à vent. Entrée progressive des cordes (longue tenue). Des bois jouent pianissimo de petits motifs staccato (notamment un renversement du motif « tierce »), notes harmoniques répétées de la harpe et quelques sons grêles du glockenspiel (comme de petites clochettes). Dan et Estelle, enfants, rejouent (avec quelques variations) la scène 8 de l’acte 2, où ils étaient adultes. L’orchestre semble s’immobiliser. (Dan) Nous sommes éternels, Estelle, éternels. Encore un grand accord très doux et un peu interrogatif de l’orchestre … Après qu’il se soit définitivement tu, quelques bruits encore : Phil referme les volets de la maison.
FIN.
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