AMANTS IMPARFAITS CHERCHENT PERFECTION
Pierrette Fleutiaux s’attache à ses personnages fantasques, les entraînant dans des récits à épisodes, graves ou comiques, des « fantasias »… Auteure de romans prenants et haletants, elle réalise avec « Les Amants imparfaits » un ouvrage de maturité.
Pierrette Fleutiaux est une femme attachante. Bercée dès sa plus tendre enfance dans un climat familial propice à la découverte des livres (une mère professeur et un père directeur de l’école normale d’instituteurs), elle évoque sans rougir et avec passion ses premiers souvenirs de lecture : Jules Verne, Jane Austen et aussi Platon, qu’elle découvre très jeune sans forcément le comprendre, mais dont elle trouve le mythe de la caverne « rigolo et très excitant ».
C’est paradoxalement la philosophie et la lecture de Deleuze, de Rosset, qui la pousse encore un peu plus vers la littérature. Elle obtient son agrégation d’anglais à la Sorbonne mais se sent diminuée à Paris, qu’elle quitte avec soulagement pour New York. Délaissant vite l’enseignement pour divers petits boulots, elle voyage, se forge un regard.
À l’heure où paraissent de plus en plus de textes faussement introspectifs, où pérore une littérature soi disant psychologique, où l’intrigue est rare et le ressassement omniprésent, à l’heure où tout le monde veut être écrivain mais n’a rien à raconter, elle bâtit ses livres sur des sujets douloureux (« Des phrases courtes, ma chérie »), impérissable (« Nous sommes éternels »), parfois exotique (« Allons-nous être heureux ? »), mais toujours creusé, mis en scène et en mots. Quand nombre de romanciers tentent en vain l’exercice de style parfait, elle préfère bâtir une intrigue, toute en style et structure.
« Les Amants imparfaits » est à ce titre parfaitement mené. On y rencontre Raphaël, narrateur tourmenté, qui consigne sa drôle d’histoire sur le papier, rassemble ses souvenirs, les clarifie et interroge sa mémoire dans une longue confession écrite en apnée.
Raphaël est un jeune garçon de la campagne qui voit débouler dans son univers réglé un couple de jumeaux dangereusement fascinants. Plus il les approche, plus eux s’éloignent, plus il tente de s’immiscer, de s’inclure dans leur monde bicéphale, plus il s’en sent exclu, étranger à jamais.
Pourtant il entrevoit ce monde, et celui ci l’envoûte, jusqu’au drame. Longue pénitence incarnée et haletante, « Les Amants imparfaits » tient tout à la fois de la peinture de mœurs, de l’analyse psychologique sur la géméllité, du roman d’initiation et du thriller. On y entre étonné et on en sort subjugué. Voici un parfaitement bon roman que l’on doit à une romancière douée.
Romain Plyer, Topo (septembre 05).