Le Nouvel Observateur, 8 sept 2005, Bernard Geniès


TRIO INFERNAL

C’est un étrange trio qui habite le roman de Pierrette Fleutiaux : des jumeaux – un garçon, une fille – et un garçon. Léo et Camille ont 6 ans lorsqu’ils font la connaissance de Raphaël, 19 ans. Ce sont des gosses de, riches, il est le fils d’une employée communale. Tout les sépare. Tout bientôt va les rapprocher jusqu’à les conduire devant un juge d’instruction enquêtant sur la mort – le meurtre ? – d’une ieune fille.

Comment ces trois enfants si bien éduqués ont-ils pu se laisser entraîner par ce tourbillon ? C’est un peu la faute à la vie. Négligés par des parents qui n’ont pas que ça à faire, Léo et Camille se sont construits un univers clos, fonctionnant selon des règles qu’ils modifient au gré des situations. La curiosité qu’éprouve à leur endroit Raphaël devient alors fascination. Complice de leurs intrigues, il accepte même de prendre la plume pour rédiger leur troublante équipée.

Pierrette Fleutiaux nous entraîne dans un monde où les frontières de l’identité sexuelle et de l’identité tout court s’estompent, le mal-être devient malaise, le lecteur se sentant à son tour aspiré par le maelstrom du récit. Car c’est une sorte de mécanique impitoyable qui est ici à l’oeuvre. La bonne volonté du héros, sa naïveté en font la proie idéale. Mais dans le même temps ses actes viennent montrer qu’il n’est pas si innocent. Son ingénuité feinte lui permet d’agir en toute quiétude, de franchir la barrière de l’interdit. Coupable d’être innocent, Raphaël, l’auteur-narrateur s’ingénie à raconter d’autres histoires. S’imaginant par exemple que le père des jumeaux est aussi le sien.

Au fil du récit, la réalité finit par s’effacer.

À l’image des jumeaux qui affirment avoir dévoré dans le ventre de leur mère le fœtus d’un troisième enfant, Camille et Raphaël finissent eux aussi par s’entre-dévorer. Un roman sur là gémellité ? « Les Amants imparfaits » sont plus que cela. Pierrette Fleutiaux s’interroge sur le rôle de l’écriture, sur le rapport que l’écrivain noue avec elle au moment où il se confronte à elle physiquement, face aux pages dont l’accumulation finit par constituer une sorte de rempart. Un rempart d’où l’on peut apercevoir le monde et sa part de vérité.

Bernard Geniès, Le Nouvel Observateur (8 sept 2005).