L’AMOUR À L’ÉTAT GAZEUX
Un trio d’ados, les sentiments, les dangers de la vie. Mystères que Pierrette Fleutiaux explore
dans « Les Amants imparfaits »
Bourgneuf est cette bourgade de province, entourée de champs, baignée de silence, dans laquelle vit Raphaël, garçon réservé. Son père est mort, tombé d’un toit. Sa mère est employée communale. D’origine très modeste, elle a pu faire quelques études grâce aux Desfontaines, des enseignants qui avaient un fils du même âge qu’elle, Bernard, qui lui, est parti, a réussi. Il gagne beaucoup d’argent, court le monde et n’a pas toujours le temps de s’occuper de ses enfants, Léo et Camille, des jumeaux qu’il confie, de temps à autre, à ses parents.
Les deux gosses sont étranges, garçon et fille étonnamment ressemblants, curieusement impassibles. Eux qui sont habitués au luxe, aux villes, au mouvement, ne laissent rien paraître de leur désarroi quand ils arrivent à la campagne. Dès qu’ils rencontrent Raphaël, c’est un peu comme s’ils se reconnaissaient tous les trois, sans s’être jamais vus. Ils resteront amis, malgré les séparations, les déplacements, toujours unis et deviendront de possibles amants, quand, des années plus tard, ils vivrons à Paris. Juste avant le drame.
Secrets partagés
Dès le départ, on sait que l’histoire tournera au tragique, laissant Raphaël seul face à la vie, à ses gestes et à ses souvenirs. Au remords, et comment s’en défaire ? En parler au psy auquel on l’a confié ou, mieux encore, écrire ? Ce qu’il fait.
C’est de son point de vue que l’on va considérer toute l’affaire. Tenter de débrouiller le sien, du leur. Ce qui n’est pas aisé. Tout repose sur l’immense ambiguïté d’une véritable amitié, sentiment parfaitement irrationnel et, ici encore enrichie ou compliquée par quantité de secrets partagés. De mystères qui tiennent à la vie même : les jumeaux ont quelque chose d’irréel, d’insensé, comme s’ils venaient d’ailleurs. Pierrette Fleutiaux aurait pu aisément dériver vers le pur imaginaire ou la science fiction. Elle tient tout au contraire son roman au plus près de la vie, pas de la réalité, de la vie dans ses surprises et ses incohérences, dans son immense beauté et la terreur conséquente. Voilà ce qui donne à ces « Les Amants imparfaits », un aspect fascinant.Un roman que l’on peut penser en totale rupture avec le précédent, « Des phrases courtes, ma chérie » (Actes Sud), dans lequel elle faisait le récit des derniers jours d’une vieille femme. « Non il n’y à pas de rupture. J’ai toujours cherché à comprendre l’être humain. Que ce soit une personne près de la mort ou de très jeunes gens, c’est la même chose au fond ».
Les romans qui ne sont que réalistes m’ennuient
À l’origine de celui-ci ?
L’amour. Bien sûr, oui, l’amour ! L’amour tel qu’il peut exister à l’adolescence ou dans l’enfance. Un amour que je dirais à l’état gazeux, parce qu’il peut se poser on ne sait où, on ne sait quand. Mais créer des liens très forts. Quelle qu’en soit la durée. Ici, cet amour est entouré de mystère parce qu’il se greffe sur le secret des jumeaux, le secret d’avant leur naissance. Cette part d’irrationnel ou d’inconnu qui permet de rejoindre des courants souterrains et de donner de la profondeur à l’intrigue. Les romans qui ne sont que réalistes m’ennuient.
Le réel est tout de même présent…
Oui, dans la disparité sociale, qui est très marquée. Et là j’en ai besoin. Raphaël est d’origine très modeste. Plutôt heureux. Il est sensible, au temps, aux gens qui l’entourent. Un peu à l’écart de ses copains du bourg. Peut être parce qu’il est orphelin. J’ai connu des garçons comme lui, très réservés, il me semble qu’ils portent en eux une puissance qu’ils ignorent et qui peut très bien ne jamais être révélée. Les jumeaux tout au contraire sont des enfants de la jet-set fortunée, ils sont dans le contemporain, jusque dans cette marchandisation des corps à travers les œuvre caritatives mondaines de leur mère. Ils sont très représentatifs du monde urbain et cosmopolite. Mais il y a cette fascination réciproque, cette adoption mutuelle qui va pousser chacun à sortir de son cadre.
Le hasard des rencontres ?
Les relations entre les personnes, ces affinités électives que rien ne peut prévoir, m’intéressent plus que les relations familiales stéréotypées. Elles me paraissent plus révélatrices.
Cette histoire aurait pu se terminer très bien ?
Rien ne dit que le trio ne va pas se reformer avec le temps… J’ai introduit le personnage d’Anne comme élément perturbateur. C’est une jeune fille fragile, déséquilibrée et elle apporte le drame. Quand on est adolescent, encore naïf, vulnérable, très perméable, on ne se méfie pas de ces personnes, on pense qu’elles offrent de nouvelles ouvertures, de nouvelles expériences, que ce soit la drogue ou autre chose. La puissance des émotions à cet âge en fait la beauté, mais aussi le danger.
Raphaël s’exprime en utilisant deux supports : le psy…
Tout roman est un exercice d’élucidation d’un être ou du monde. Le psy est un élément très commode en littérature, il est cet autre qui demande, questionne, vérifie. Il permet de jalonner l’intrigue d’indispensables repères.
… et l’écriture ?
Il vient d’arriver quelque chose de terrible à ce jeune homme, qui le dépasse et qu’il veut comprendre. Il cherche partout des appuis. L’écriture est en lui, toute proche. Elle pourrait rester inerte, à jamais inexprimée. S’il n’entendait, par hasard, une jeune femme écrivain, dire en termes simples comment ça se passe, l’écriture pour un débutant, et que le plus dur ce sont les cents premières pages. Il écrit pour se réapproprier son histoire, qui lui a été en quelque sorte confisquée par la juge, les avocats, etc.
Comment travaillez-vous ?
Toujours de la même façon, qui peut paraître assez particulière. je ne prévois rien. Je ne planifie rien. J’ai l’impression de rester en somnolence jusqu’à ce qu’une phrase me percute. Je n’ai plus alors qu’à suivre, tout est là, derrière la porte, même si je ne sais pas encore exactement qui et quoi ! J’écris un premier jet sans me soucier de ce qui va venir, je fais confiance au rythme que je perçois, à mes personnages… Et quand c’est fini, c’est fini !
Pas de retouches ?
Si, beaucoup. C’est la partie technique de mon travail. Je deviens ma propre lectrice. Une lectrice à l’œil expérimenté qui s’efforce d’appliquer le précepte de Faulkner, « Kill your darlings »/« Tue tes chéries ». J’essaie d’éliminer les phrases inutiles, même les belles qui me plaisent bien.
Daniel Martin, Centre-France (18 sept 2005).
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