LA VIEILLE DAME
Quand on est écrivain, et plutôt reconnu, on peut espérer voir ses livres figurer en bonne place dans la bibliothèque de ses parents. Pierrette Fleutiaux a déniché les siens derrière la rangée de volumes reliés :
Trouvaient-ils ma littérature mauvaise ? Cette idée ne m’a pas effleurée. Ils étaient gênés, mais pour une autre raison, je montrais ce qui ne doit pas l’être. »
Pour ces anciens professeurs, leur fille était passée du côté des artistes, c’est à dire de « l’exhibitionnisme. » Ce qui, la concernant, est pour le moins exagéré.
L’ancienne élève, très douée pour les rédactions, à laquelle sa mère conseillait » des petites phrases courtes » veut, par une « mise en tension des mots, » pénétrer des mondes qui, sans les moyens et le travail qu’exige la littérature, « resteraient inconnus. » Cette fois voici en renonçant à la fiction les sables mouvants où l’a entraînée la vieillesse de sa mère.
Pendant sept ans, elle a fait le plus souvent possible cinq cents kilomètres pour retrouver la vieille dame dans la résidence de retraite où elle avait acheté un deux pièces, après avoir vendu sa maison, rendue trop grande par le départ de ses deux enfants et la mort de son mari. Dans cette petite préfecture du Limousin, elle se comporte en fille aimante, qu’elle est vraiment. Elle accompagne la vieille dame chez le docteur, la coiffeuse, dans les magasins, et au repas dominical de cette résidence pour personnes âgées non dépendantes, sorte de pensionnat où chacune s’efforce d’être bien vue du directeur. La mère de l’auteur a toujours su séduire son monde. Conduire des transactions. Défendre ses intérêts. « Régner » en quelque sorte. Quand elle se présente, souveraine, pour déjeuner chez son fils chirurgien, avec sa belle fille, sa fille, et ses petits fils, il lui faut déployer de douloureux efforts pour ne pas abdiquer. Mais imagine-t-elle, la vaillante octogénaire, les efforts fournis par ses propres enfants pour lui consacrer leur journée, eux qui « ne sont pas à la retraite » et qui aimeraient tellement souffler ?
Pierrette Fleutiaux dit comme elle s’est sentie harassée par la présence demandée par sa mère alors que la réclamaient son métier d’enseignante, sa carrière d’écrivain, et éventuellement ses amours. « La vieillesse d’un seul être vous a avalé tout entier, chair, os et cerveau . »
Le récit s’articule en chapitres porteurs de mots clés, qui retracent l’existence de la vieille dame, depuis son départ, pour cause d’études, de la ferme creusoise de ses parents. Description scrupuleuse, et parfois cocasse, d’un déclin où l’auteur voit le miroir du sien. Avec extrême finesse qu’on lui connaît, Pierrette Fleutiaux tente de résoudre l’énigme que représente cette « mère aux deux visages » et le mystère de ce qu’il y a de double aussi, en chacun d’entre nous, qui passons si vite de l’indulgence au despotisme, de la générosité à l’égoïsme.
Lorsqu’elle mourra, je serai libre et vide et toute chose dans le monde sera égale. »
Jean-Pierre Tison, Lire (sept 2001).