DES PHRASES COURTES MA CHÉRIE
La mort de la mère sert de prétexte à ce récit de Pierrette Fleutiaux. Son vrai sujet est la vieillesse. Un âge terrible qui la terrifie. Qu’elle aborde comme le ferait un voyageur, une contrée inconnue. Avec la même curiosité et l’assurance de pouvoir la quitter à sa guise. Mais le sentiment très contrariant qu’il faudra bien y séjourner un jour.
Au seuil un guide attend : j’y dépose mes bagages les plus intimes : ma volonté, ma mémoire, mes désirs (…) Je lui remets ma vie, j’avance en aveugle dans un labyrinthe dont je n’ai pas les plans, et mon guide est muet, je ne le verrai jamais. »
Elle a fait ce voyage pour assister au combat que mène une vieille femme, sa mère qu’elle a connue jeune et déterminée, contre la mort.
J’en suis si proche que je prends beaucoup de coups aussi. »
Longtemps après, elle témoigne. Écrit en s’interdisant la fiction. Pas les artifices qui lui sont chers, ces images qu’elle aime construire aux limites du réel, pour lui donner plus de corps, de présence et de sens : la vieillesse n’est séparée de la vie que par une cellophane, une membrane minuscule et infranchissable.
Étouffante. On y voit une femme ni malade, ni sénile, ni handicapée, mais vieille simplement, lutter contre l’inéluctable. S’approcher du gouffre, dans un décor de maison de retraite peinte en rose pour paraître plus paisible. Elle peut se montrer coquette ou capricieuse ou délicieuse, se montrer forte en public ou fragile en tête à tête avec sa fille rien n’y fait. Elle le sait. Elle est au tragique de sa vie. Et porte en avant, dans un dernier élan, le monde qui fut le sien, qui disparaîtra avec elle, le monde qui l’a vue vivante. Un monde déjà ancien, lointain, pétri de ruralité et des valeurs qui lui sont chères. Qu’elle tend à ses héritiers comme des reliques, des talismans : travail, fidélité… discrétion, dont elle reproche à sa fille ne pas avoir fait suffisamment preuve.
En écrivant elle s’est démarquée, s’est faite remarquer, ce qui lui fait un peu honte. D’où ce conseil qu’elle lui adresse, « Des phrases courtes, ma chérie, » pour qu’au moins on la comprenne. De la mort elle même il est question dans un scène brève, très violente, plus imaginée que vue et de ce fait plus épouvantable encore la chute, le froid. L’effroi. En quelques lignes. On comprend qu’il ne s’agit pas d’un récit de plus sur la disparition d’un ascendant, mais d’un texte plus grave et plus profond qui parle du partage du temps et de la séparation des corps, de la survivance des êtres, de l’héritage dans ce qu’il a de plus immatériel et d’essentiel :
les morts ont forcément le dernier mot, ils ne lâchent jamais prise, ils sont en vous désormais. »
Daniel Martin, Le Magazine Littéraire (septembre 2001).