L’ADIEU À LA MÈRE
Les fidèles de Pierrette Fleutiaux seront surpris par cette belle confession. Car, depuis vingt cinq ans, l’auteur des « Métamorphoses de la reine » n’a écrit que des livres de fiction. Celle qui fut saluée à ses débuts par Julio Cortazar ne s’accomplissait en effet que dans l’imagination la plus folle. Elle détestait le vérisme, le naturalisme et la description minimaliste de la vie quotidienne. Elle avait lu Poe et Kafka, elle pensait donc que le fantastique doit transformer le réel. De romans en nouvelles, elle lançait des chauves souris dans les chevelures des demoiselles, substituait des hommes de fer aux hommes de chair, créditait la peinture abstraite d’étranges vertus cathartiques, et pervertissait, avec brio, humour et liberté, les fameux « Contes » de Perrault. Il est vrai que Pierrette Fleutiaux est née à Guéret où la légende veut que, la nuit, les loups viennent lécher le pied des remparts et taquiner les jeunes filles à cheval. Que s’est-il donc passé pour qu’une femme qui avoue « n’être bien que dans la fiction », qui n’a jamais rédigé de récit ni tenu de journal intime, qui déteste « copier la vie au plus près « et qui a hérité de la pudeur paysanne de sa famille, décide soudain de renoncer à ses principes et de se raconter dans un livre ?
Ceci, tout simplement : la mort d’une mère. Le nœud d’une vie. L’expérience cardinale. Tout commence après la disparition du père, quand la mère se retrouve seule dans la grande maison. C’est une femme dynamique, ancien professeur, qui est d’une lucidité presque scientifique. Elle ne supporte pas de perdre la tête. Elle demande de l’aide. Après avoir fait le tour des hospices où la vieillesse est malmenée, sa fille, qui habite Paris, lui trouve une chambre dans une jolie maison de retraite du Centre de la France. Le plus souvent possible, pour l’accompagner dans sa lente, longue, descente vers la mort. Ces visites sont l’occasion de retrouvailles bouleversantes. Car la mère et sa fille s’étaient perdues de vue. La première n’aimait pas trop ce qu’écrivait la seconde et se méfiait, en général, de l’exhibitionnisme des gens de lettres. Malgré tout, à chacun de ses livres, elle lui envoyait un chèque « pour t’encourager, mon petit » , comme on récompense un enfant pour ses bonnes notes en classe. Et Pierrette Fleutiaux, pleine de remords, savait bien qu’écrire, c’était se couper du monde, c’était s’éloigner de sa mère, c’était se préférer.
Il aura fallu ce séjour en maison de retraite pour que, désormais disponible l’une pour l’autre, les deux femmes se rejoignent, se touchent, se comprennent. Et aussi pour que la fille, qui soigne, coiffe, habille, dorlote sa mère comme si elle était devenue un bébé, prenne soudain conscience, avec effroi, avec colère, de sa propre mort.
C’est un livre qui pourrait être triste mais qui, par la grâce de l’écriture et le bonheur d’un amour retrouvé, est d’une grande luminosité. C’est un livre qui pourrait être indécent mais qui, par la gratitude dont témoigne ici l’auteur, est d’une élégance parfaite. C’est un très beau livre qui aurait pu s’intituler « Nous sommes éternels ». Mais Pierrette Fleutiaux avait déjà donné ce titre au roman qui, en 1990, lui valut, à juste titre, le prix Fémina.
Jerôme Garcin, La Provence (9 sept 2001).