AUTOUR DU DERNIER LIVRE DE PIERRETTE FLEUTIAUX
Vous n’étiez pas une personne du petit cercle de soi-même, vous ne pouviez pas, vous ne vouliez pas oublier le grand cercle, je le sentais à chaque instant passé auprès de vous » .
Chronique, récit, enquête. Tout cela dans le dernier livre de Pierrette Fleutiaux. Et plus encore, un parcours, de cercle en cercle, qui tisse le vivant d’une transmission. Ce vivant là, quel autre nom lui donner ? Pierrette Fleutiaux, souligne combien dans le féminin, la question du maître est peu mise en avant. « Maître » à penser, oui, cette figure se tient du côté du masculin et pour les femmes ? On ne peut pas dire « maîtresse » bien trop lourdement connotée, alors passeuse ? Pas seulement. Initiatrice… Y résonne la racine du verbe, initier initium le commencement, le début. Dans ce verbe se tient quelque chose qui fait de ce livre, certes une chronique – il existe un semblant d’ordre chronologique dans cette remontée du temps -, mais aussi l’exploration de trouées, d’autres commencements offert par les prises de conscience. Des relectures en quelques sortes, de la relation et du chemin parcouru à la lumière de cette présence initiale.
Ainsi, peu à peu, émerge la cartographie d’une narration singulière : la relation de ce voyage vers et avec Anne.
De prime à bord, le propos semble simple :
Comment m’y prendre avec vous, là, tout de suite ? » pour que vous reveniez vivante parmi nous. » pour que vous reveniez vivante parmi nous.
C’est une prière. Un mantra. Une invocation. Il ne s’agit pas seulement de revenir dans le passé, à l’époque de la rencontre ou de remonter encore en arrière en menant l’enquête sur Anne, ethnologue et voyageuse ; ni d’interroger uniquement la mémoire, le passé, les archives. Il s’agit de faire place à la revenante en soi-même.
À celle qui revient. Ou peut-être à celles qui reviennent. Double tension de l’écriture à la fois adressée et déployée. Adressée : de l’inaugurale Bonjour, Anne à la dernière phrase, la chronique est ponctuée des apartés tenus avec Anne, ou de ces questions en chute de paragraphes : « n’est-ce pas Anne ? ». Une douceur, une interrogation, une pause.
Déployée : accepter toutes sortes de signes, mêmes les plus ténus car il y a dans cette quête, mêlé à l’amour, une inquiétude. Le souci d’une justesse à trouver. D’un tempo à faire vibrer. Des berges à relier. Ici quelque chose ne cesse d’écouter avec une extrême vigilance, le sillage d’une présence – chuchotement d’une voix, pieds nus sur le sol, mouvement d’une branche. Et cette ténacité de l’oreille permet peu à peu d’accueillir l’errance et ainsi de traverser les résistances.
Cherchant des informations sur Internet, on trouve cette réflexion, qui dépasse les « taillis » du net :
Peut-être faut-il toutes ces heures apparemment gaspillées, toutes ces errances et tous ces chemins de traverses, pour que vous ayez le temps de reprendre consistance, pour ne pas effaroucher votre fantôme. Pour que je gagne le droit de vous retrouver. »
La retrouver, elle, qui depuis des années se tient prête, ni loin ni proche, à la façon du rouge-gorge, invisible dans le jardin tant qu’on n’y prête pas attention. Une fois repéré le tacheté orange de sa gorge est toujours un signal. Une revenante oui, sans doute, mais, voyez, une revenante qui n’est plus seulement de ce pays des morts mais de celui des mots, bien du pays de chair : celui des femmes, des choix qu’elles y font, des postures qu’elles y tiennent. De leur intelligence et de leur force. Ce regard là, convoqué, se tient penché par-dessus l’épaule de la narratrice.
Une chronique, la relation d’un voyage où le sens s’ajuste à une autre définition, plus proche de la sensation :
Grâce à vous, Anne, je reprends possession de ces voyages , de ces moments qui ont bien dû être les miens, je trace un dessin dans ma vie, comme ces calligraphes que vous aimiez tant.
Je ne peux en déchiffrer les caractères, mais ils semblent faire sens, et pour un moment, je suis apaisée. »
Il ne faudrait pas s’y tromper : ni tout à fait une biographie ni un hommage au sens strict et pas seulement un récit documenté mais bien des étapes vers des retrouvailles. Ce qui bat sous la peau des mots, ce qui émeut au détour d’une phrase, ce qui suspend la lecture se tient là : la densification progressive d’une présence vivante.
Antoinette Bois de Chesne,
Médiatrice de rencontre littéraire, formatrice en écriture à Aleph-Ecriture
Pour la rencontre dont il est question dans l’article, il est possible d’en avoir un aperçu, ici
p.64
Lors d’une rencontre publique à propos de cet ouvrage non encore publié- Les Inédits Aleph-Ecriture Paris 15 fév.2010
p.7