L’Express, 25 novembre 1994, Gabrielle Rolin


UN RÊVE AMÉRICAIN

Quand Robin rencontre Beauty,
le bonheur traverse l’Atlantique.

C’est un petit garçon solitaire qui, à New York, tape dans son ballon sous les yeux de sa mère. Ils viennent de France et chacun s’efforce d’aider l’autre à s’intégrer au Nouveau Monde. Grâce au ballon, Robin y réussira parfaitement, trop parfaitement même : il s’acharne à renier ses racines. Y parvient on jamais ? Bien que subjuguée par l’Amérique,  » ce pays à n’y pas croire « , la mère cède parfois à la nostalgie. Il suffit d’un souvenir d’enfance, d’une lettre de  » là bas « , pour sentir le passé qui affleure. Mais, refusant le vague à l’âme, elle emboîte le pas à son fils, à son mari, qui rit de plaisir au volant de sa Cadillac.  » Ici, un adulte peut se permettre de jouer comme un gosse. «  Que l’Europe paraît guindée, vue de loin !

C’est, à Miami, une petite fille d’une extrême laideur : des jambes d’échalas, une bouche de grenouille, des oreilles de basset, n’en jetez plus ! Par ironie, ses parents l’ont prénommée Beauty. Souffre-t-elle ? Pas du tout. Elle se félicite de n’être pas comme les autres et s’applique à devenir elle-même : une extraterrestre, un symbole. Chaussée des mocassins de son père, elle adopte sa démarche de mannequin, qui demain lui vaudra la gloire et la fortune.

Quand, au sortir de l’adolescence, Robin et Beauty se rencontrent, les voici foudroyés par la certitude qu’ils sont faits l’un pour l’autre. Lui doit à son apprentissage transatlantique et à la fréquentation assidue de Batman un second souffle qui balaie les obstacles. Elle se laisse guider par sa propre lumière. Et le bonheur leur tombe dessus, les met K.-O., arrêtant le roman sur un coup de gong.

C’est à peine si nous distinguons encore, à l’arrière plan, les silhouettes mélancoliques des parents, amis, témoins. Le couple royal draine tous les regards. Impossible de les imaginer vieux, malades ou pauvres. Ils méritent des épreuves à leur hauteur. Puisse Pierrette Fleutiaux les leur accorder dans le livre suivant ! Comme eux, elle réussit le grand écart par-dessus l’Océan, et sa fringale de vivre emporte le morceau, avec le lecteur.

Gabrielle Rolin, L’Express (25 novembre 1994).